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que le sergent-major pénétra dans notre pièce. C’était un homme qui, par sa démarche, sa voix, ses gestes, semblait être pour ainsi dire un type fiévreusement nerveux. Il nous demanda si nous avions lu le fameux avis qu’il venait de faire afficher. — « Vous savez que désormais vous ne pourrez plus jeter vos pelures de pommes de terre où vous aviez habitude de les jeter, un récipient est placé à tel endroit, dans lequel vous devrez les déposer ; elles sont très précieuses pour les animaux, car le grain et le fourrage se font excessivement rares à Berlin. »

Absorbés que nous étions tous dans la préparation de notre fricot, nous avions à peine levé les yeux sur notre interlocuteur. Il regardait tour à tour chacun de nous, attendant une réponse, mais aucune réponse ne venait. — « Vous avez bien compris, messieurs ?… Vous avez bien compris ?… J’espère que vous ne me forcerez pas à vous punir pour avoir désobéi à cet ordre ! » Personne ne semblait disposé à répondre quoi que ce soit, lorsque l’un de nous, M. M…, plus hardi peut-être que les autres, et certainement doué de plus d’humour, se tourna du côté du sergent-major et lui dit : — « Monsieur le sergent-major, je vous demande pardon, mais je mange mes pelures moi-même ! » Un fou rire nous prend, mais nous nous contraignons par respect pour l’autorité. Le sergent-major, qui ne savait trop comment interpréter cette boutade, nous regarda l’un après l’autre, sembla esquisser un sourire, mais comme nous avions tous pris un air mystérieux et énigmatique, il ne crut pas