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généralement l’entrée en matière de ces messieurs lorsqu’il s’agissait de commettre des déprédations.


Ma mère use de diplomatie



MA MÈRE ne perdit pas son sang-froid. Elle parlait suffisamment l’allemand pour pouvoir comprendre ces soldats et se faire comprendre d’eux. Elle leur demanda, d’un ton assuré, ce qu’ils voulaient. « Du vin, » répondirent les trois hommes du kaiser. « Combien en voulez-vous » demanda ma mère ? « Nous désirons aller nous mêmes nous servir » répondirent-ils. « Quant à cela, je ne peux pas vous permettre d’aller dans la cave. » « Eh bien », dirent-ils, « Il nous faut du vin et nous l’aurons. » Mes sœurs et moi, voyant que la conversation prenait un ton violent, nous voulûmes savoir ce dont il s’agissait. C’est alors que notre mère nous dit ce qui venait de se passer. Nous la suppliâmes, en français, de laisser aller ces soldats à la cave, convaincues que nous étions que quand ils se seraient chargés de vin, ils se retireraient. Mais ma mère, se rappelant sans doute qu’un officier allemand logeait chez nous et qu’il pourrait entrer d’un moment à l’autre, prit un parti héroïque. Elle leur fit la question suivante : « Avez-vous, par hasard, l’autorisation de vos officiers, en venant réclamer du vin ici ? » Ce à quoi ils répondirent affirmativement. Alors ma mère les invita simplement à s’asseoir pendant quelques minutes et à attendre la rentrée du Capitaine X…, commandant de telle compagnie, qui était à Cappellen et qui logeait chez nous. Les Allemands reçurent un choc évident, à cette déclaration ; ils échangèrent un regard furtif, baissèrent notablement le ton arrogant dont ils s’étaient servis jusque-là et réclamèrent simplement chacun une bouteille. Au même instant, tous trois enlevaient leur casque et l’un d’eux dit : « Comme ça, vous avez un officier qui loge ici ? » « Oui, » répondit ma mère, « et je lui rapporterai mot à mot ce qui vient de se passer. Voulez-vous être assez bons de me donner vos noms et vos numéros