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Édouard, seigneur de Beaujeu, et la fille de Guyonnet de la Bessée, premier échevin de Villefranche. Édouard était tombé amoureux de la demoiselle ; après vavoir courtisée chez son père, il l’enleva avec éclat et la séquestra dans son château de Pouilly. Cité pour comparaître devant le Parlement de Paris, il ne reçut l’huissier chargé de l’assignation que pour le faire jeter par une fenêtre du château. Il fut appréhendé par les troupes royales, mis en prison et dépossédé de sa seigneurie : il mourut deux mois après sa déchéance, en août 1400.

Le vitrail, représentant le seigneur jouant aux échecs avec la demoiselle de la Bessée aurait donc été peint au temps des fréquentes visites d’Édouard chez l’échevin, antérieurement au scandale de 1399. Or, les costumes nous font placer l’œuvre, de façon absolument certaine, entre 1430 et 1440. La jaquette fourrée, à gros plis, du joueur d’échecs, est le costume des personnages qui ont posé devant Jean van Eyck ; elle cessa d’être portée peu de temps après sa mort[1] (1441).

Il serait improbable qu’un descendant de l’échevin Guyonnet eût voulu, trente ans après le scandale, en perpétuer le souvenir dans sa propre maison. Peut-être la légende qui montre Édouard de Beaujeu et la demoiselle de la Bessée jouant aux échecs a-t-elle été suggérée à l’imagination des curieux par la vieille grisaille. Celle-ci représenterait simplement un seigneur et une dame du temps de Charles VII, dont nous ignorons les noms.

Le jeu d’échecs est d’ailleurs un motif favori que les ivoiriers parisiens répétèrent sur les coffrets et les boîtiers de miroirs.

Il ne faut voir dans notre vitrail qu’une scène de genre, réunissant deux portraits minutieux de costumes et de visages dans un intérieur du temps, ce que faisait alors Jean van Eyck, en Flandre. Le peintre-verrier — un Lyonnais sans doute — a rapproché ses modèles en un aimable tête-à-tête. Son œuvre, bien française, méritait une mention particulière, tant pour son charme discret que pour son insigne rareté[2].


    franche, 1671. Cette notice, attribuée à un Jésuite, le P. Jean de Bussières, est illustrée d’une gravure au burin par Sélot, qui reproduit les personnages du vitrail de façon assez fantaisiste.

  1. La tête, rasée en rond au-dessus des oreilles, comme celle du chancelier Rollin, dans le tableau de Fouquet, est coiffée d’un chaperon chargé d’une crête de lambrequins festonnés. La dame, assise en face de un de ces hennins à hautes cornes que les prédicateurs des Flandres et de Paris dénonçaient comme des inventions diaboliques.
  2. Voir : Chronique de la Maison de Beaujeu (collection lyonnaise, n° 4), éditée par C. Guigue, Lyon, 1878. — Histoire du Beaujolais et des sires de Beaujeu (t. I), par le baron F. de la Roche la Carelle, Lyon, 1853. — « Un Vitrail profane du quinzième siècle », par L. Bégule et E. Bertaux-(Gazette des Beaux-Arts, XXXVI, 3e période).