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par laquelle le mythe se transforme en conte, par exemple dans le cas du Chasseur sauvage, qui primitivement était Odin, le dieu germain. Il aurait pu remonter, en cherchant les origines d’Odin, jusqu’à Indra, le dieu des tempêtes dans les Védas, et au-dessous même du grand veneur de Fontainebleau, il aurait pu retrouver l’Hellequin de France jusque dans l’Arlequin des pantomimes… Ces innombrables histoires de princesses ou de jeunes filles merveilleusement belles, qui, après avoir été enfermées dans de sombres cachots, sont invariablement délivrées par un jeune et brillant héros, peuvent toutes être ramenées à des traditions mythologiques relatives au printemps affranchi des chaînes de l’hiver ; au soleil qu’un pouvoir libérateur arrache aux ombres de la nuit ; à l’aurore, qui, dégagée des ténèbres, revient de l’occident lointain ; aux eaux mises en liberté, et qui s’échappent de la prison des nuages[1]… »

Bref, les contes populaires sont la transformation dernière et l’aboutissement d’anciens mythes solaires, stellaires, crépusculaires, nés chez nos ancêtres aryens avant leur séparation. Ils continuent à vivre dans l’intérieur de la race aryenne et ne se transmettent point de peuple à peuple, ou ne s’échangent que très rarement. La méthode j)our les étudier consiste à en chercher le noyau mythique, en appliquant les règles de la philologie comparée, à le dépouiller de sa gangue d’éléments adventices et à déterminer les transformations graduelles du mythe primitif.


IV


LA THÉORIE ANTHROPOLOGIQUE


On sait quelle belle guerre est menée depuis quinze ans contre l’école de M. Max Müller. On lui a contesté ses résultats, ses méthodes, ses principes. Depuis Mannhardt jusqu’à M. James Darmesteter, combien de savants l’ont abandonnée, brûlant ce qu’ils avaient adoré ! Combien, depuis Bergaigne jusqu’à M. Barth, ont fait effort pour dissiper l’ivresse linguistique qui nous grisait, pour dépouiller les Védas de leur autorité sacrée, pour démontrer

  1. Ibid. p. 283.