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gère, il aurait fallu étudier comment l’imagination orientale s’était réfractée dans l’esprit de nos trouvères. Là aurait du être l’effort du travail : mais, si l’hypothèse orientaliste est vaine, cette recherche eût porté à faux. Si nous avions admis que les contes orientaux se sont transformés en fabliaux, les fabliaux en farces françaises d’une part, d’autre part en nouvelles italiennes, nous aurions du étudier les transformations que les novellistes italiens ou les auteurs comiques du xve siècle ont fait subir à leurs modèles supposés. Or notre conception de l’origine des fabliaux écartait les recherches de ce genre : les auteurs de farces françaises et les novellistes italiens ont pris leurs sujets non dans les fabliaux que, sauf Boccace peut-être, ils ignoraient aussi bien que Ptolémée ignorait l’existence de l’Amérique, mais dans la tradition orale. Fabliaux, farces, nouvelles italiennes ne sont que les accidents littéraires de l’incessante vie populaire des contes. Il est peut-être utile de comparer entre elles ces diverses manifestations littéraires (v. notre chapitre IX). Mais il est permis aussi de considérer les fabliaux comme des œuvres non pas adoptives, mais exclusivement françaises ; et de même les nouvelles de Sercambi ou de Bandello, sans se préoccuper de leurs sources, comme des œuvres exclusivement italiennes. — Cette conception est fausse peut-être, — négative, non pas.

Quels traits communs nous révèle l’analyse des fabliaux ? Quelle est la portée de l’esprit gaulois fait de gaieté facile, libre jusqu’au cynisme, réaliste sans amertume, optimiste au contraire, rarement satirique ? Ou bien, quand il est satirique, quelle autorité ont les auteurs de fabliaux à mener le convicium saeculi, quelle est la valeur de leurs