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DISCOURS PRELIMINAIRE

ſa deſtination : c’eſt un article de ſa beauté. Un temple doit être différemment diſtribué & décoré qu’un palais, un palais qu’un hôtel, un hôtel qu’une maiſon : tout cela eſt relatif à la qualité des êtres auxquels ces bâtimens ſont conſacrés.

Or quelle eſt cette qualité ? un vrai enfant de l’imagination. La forme d’un temple variera ſelon qu’on aura une idée plus ou moins grande de la Divinité. ſuivant celle que nous avons de l’Etre ſuprême, dont les attributs ſont la majeſté, la toute-puiſſance & la bonté, un temple doit être grand, pour deſigner la majeſté divine à laquelle il eſt conſacré ; magnifique & d’une conſtruction hardie, pour exprimer ſa toute-puiſſance ; enfin il doit être tellement diſpoſé que l’autel ſoit toujours viſible en quelqu’endroit du temple que l’on ſoit, pour caractériſer la bonté dont un facile accès eſt le principal appanage.

Telles ne ſeront point les vûes que nous ſuivrons dans la conſtruction d’un palais. Comme l’idée que nous avons d’un Roi eſt bien inférieure à celle que nous nous formons de Dieu, un édifice deſtiné à ſon uſage devra être très-différent d’un temple. Il ne s’agit ici que de caractériſer tout à la fois & la puiſſance & l’éclat de la Royauté ; c’eſt ce que réunira un bâtiment extrêmement vaſte, afin d’annoncer au dehors la demeure d’un homme poſſeſſeur de grandes facultés, auprès duquel habite une multitude de perſonnes de tout état, qui veillent à ſa conſervation, & diſtribué de maniere que des richeſſes de tous les genres, développées avec art & ſans confuſion, étonnant les ſens, diſpoſent l’âme à un reſpect profond & à une obéiſſance exacte.

Il en ſera à peu près de même d’un hôtel, qui doit être un diminutif d’un palais, parce que les perſonnes qui y demeurent tiennent à la Royauté, ou participent à ſon pouvoir. A l’égard d’une maiſon pour un particulier, l’étendue & la ſplendeur ſeront ſacrifiées à la ſimplicité & à l’aiſance, ſymboles de la médiocrité & de la tranquillité.

Nous ne donnons ici que des vûes générales, des moyens d’échauffer l’imagination, & non des tableaux qui puiſſent l’animer ; nous ſentons combien il reſte encore de choſes à dire pour aider même cette faculté de l’ame. Il faudroit des peintures vives, des touches fortes & variées, des nuances douces & délicates ; & ce travail n’entre point dans le plan d’un Diſcours préliminaire, qui ne doit préſenter que la maſſe des objets. Mais nous ſuccombons à la tentation de crayonner les avantages de cette partie d’un édifice, qu’on appelle jardin, & qui en fait le principal ornement.

Depuis qu’Epicure a introduit les jardins dans les villes,[1] & que ce Philoſophe voluptueux a remarqué que ce lieu étoit plus propre qu’aucun autre à procurer des penſées délicieuſes, le jardinage eſt devenu une branche conſidérable de l’Architecture. On veut jouir au milieu d’une ville des charmes de la campagne, & cet air champêtre répand une gaieté vive dans tous les appartemens d’une maiſon ſitués ſur le jardin. Pline & Caſaubon[2] nous apprennent que de leur tems on étoit déjà tant épris de ſes avantages, que les

  1. Pline, Hiſt. natur., liv. XIX. ch. 4.
  2. Pline, ibid., & Caſaubon, ad Suéton. Auguſt. ch. 72.