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de la nature, des insanités de la façon de la Mettrie, dans la pensée que le lecteur ne saurait pas démêler le bon et le mauvais, et qu’il envelopperait dans la même réprobation Duclos, Diderot et la Mettrie.

La comédie des Philosophes, représentée pour la première fois dans le courant de l’année, mit en émoi tout le monde lettré. Dans une scène du troisième acte, l’auteur, par une allusion qui ne manquait pas d’à-propos, représentait le citoyen de Genève allant à quatre pattes et disant :


En nous civilisant nous avons tout perdu.
La santé, le bonheur et même la vertu.
Je me renferme donc dans la vie animale ;

(Il tire une laitue de sa poche.)

Vous voyez ma cuisine, elle est simple et frugale.
On ne peut, il est vrai, se contenter à moins :
Mais j’ai su m’enrichir en perdant des besoins.
La fortune, autrefois, me paraissait injuste ;
Et je suis devenu plus heureux, plus robuste
Que tous ces courtisans dans le luxe amollis
Dont les femmes enfin connaissent tout le prix.


Ce personnage, on le voit, n’était que ridicule ; mais il n’en était pas ainsi des autres : l’un d’eux, sous le nom de M. Carondas, faisait l’apologie du vol, et Diderot, nommé dans la pièce Dortidius, était un des plus maltraités. C’est lui qui, au mépris de tout sentiment de patriotisme, disait :


« Fi donc ! c’est se borner que d’être citoyen.
Loin de ces grands revers qui désolent le monde
Le sage vit chez lui dans une paix profonde :
Il détourne les yeux de ces objets d’horreur :
Il est son seul monarque et son législateur :
Rien ne peut altérer le bonheur de son être :
C’est aux grands à calmer les troubles qu’ils font naître. »