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son ami, lui écrivait lettre sur lettre pour qu’il ne rétractât rien de ce qu’il avait avancé, et se portait garant de l’exactitude de ses appréciations.

Le poète, lui aussi, qui avait fait des démarches pour l’établissement d’un théâtre à Genève, et qui, même, jouait la comédie à Lausanne[1], se sentait atteint par la lettre de Rousseau, et il n’était pas homme à oublier une blessure même légère, d’autant moins que, dans ses conversations avec madame d’Épinay, il avait été fréquemment question des procédés de Jean-Jacques à l’égard de tous ses amis.

  1. Gibbon nous donne, dans ses Mémoires, les renseignements suivants sur son séjour à Lausanne et en particulier sur le théâtre de Voltaire : « Le plus grand agrément que je tirai du séjour de Voltaire à Lausanne fut la circonstance rare d’entendre un grand poète déclamer sur le théâtre ses propres ouvrages. Il avait formé un société d’hommes et de femmes, parmi lesquels il y en avait qui n’étaient pas dépourvus de talent. Un théâtre décent fut arrangé à Mon-Repos, maison de campagne à l’extrémité d’un faubourg ; les habillements et les décorations faites aux dépens des acteurs, et les répétitions soignées par l’auteur, avec l’attention et le zèle de l’amour paternel. Deux hivers consécutifs (1757-1758), les tragédies de Zaïre, d’Alzire et de Zulime, et sa comédie sentimentale de l’Enfant prodigue, furent représentées sur le théâtre de Mon-Repos. Voltaire jouait les rôles convenables à son âge, de Lusignan, Alvarès, Benassar, Euphémon. Sa déclamation était modelée d’après la pompe et la cadence de l’ancien théâtre, et respirait plus l’enthousiasme de la poésie, qu’elle n’exprimait les sentiments de la nature. Mon ardeur, qui bientôt se fit remarquer, manqua rarement de me procurer un billet. L’habitude du plaisir fortifia mon goût pour le théâtre français, et ce goût affaiblit peut-être mon idolâtrie pour le génie gigantesque de Shakespeare, qui nous est inculquée dès notre enfance, comme premier devoir d’un Anglais. L’esprit et la philosophie de Voltaire, sa table et son théâtre, contribuèrent sensiblement à raffiner et à polir les manières à Lausanne..... »