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sentent tant de chefs-d’œuvre dramatiques, n’est pas un spectacle réconfortant, bien propre à élever les caractères, et à déterminer, chez ceux qui le considèrent, un vrai perfectionnement moral. On pourrait étendre cette réflexion à la lecture des bons romans, qui peut aussi devenir un moyen très-efiîcace d’amélioration.

La valeur littéraire de l’ouvrage de Rousseau n’était pas la seule cause de l’effet qu’il produisit. Ce qui fit de cette publication un véritable événement, c’est qu’elle contenait la déclaration solennelle de la rupture de Jean-Jacques avec Diderot. « J’avais, disait l’auteur, un Aristarque sévère et judicieux. Je ne l’ai plus, je n’en veux plus ; mais je le regretterai sans cesse, et il manque bien plus à mon cœur qu’à mes écrits[1]. » Cette division éclatante entre les deux hommes, qu’on regardait alors comme les plus fortes têtes du monde philosophique, fit éclater parmi les gens de lettres des sentiments différents. Tandis que les ennemis des encyclopédistes s’en réjouissaient, elle consterna tous les amis de Diderot. Saint-Lambert, à qui Rousseau avait adressé un exemplaire de sa Lettre,

  1. Cette déclaration était accompagnée de la note suivante, tirée de l’Ecclésiastique : « Si vous avez tiré l’épée contre votre ami, n’en désespérez pas, car il y a moyen de revenir vers votre ami. Si vous l’avez attristé par vos paroles, ne craignez rien, il est possible encore de vous réconcilier avec lui. Mais pour l’outrage, le reproche impérieux, la révélation du secret et la plaie faite à son cœur en trahison, point de grâce à ses yeux ; il s’éloignera sans retour. » Eccles. XXII, 26, 27.