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Jean-Jacques quitta la Suisse le 29 octobre 1765, et se rendit, par Bâle, à Strasbourg, où il arriva le 4 novembre. Durant son séjour en cette ville, il reçut une lettre de Hume qui se mettait à sa disposition et s’engageait à lui trouver une retraite agréable et tranquille en Angleterre. Parti de Strasbourg le 9 décembre, il arrivait à Paris le 16. Sa présence dans la capitale, que son étrange costume rendit bientôt publique, fit sensation. Pour éviter toute émotion populaire, et surtout pour que les décisions de l’autorité ne fussent pas lettres mortes — le décret de prise de corps n’étant pas rapporté — M. de Choiseul lui fit donner l’ordre d’accélérer son départ. Rousseau, en conséquence, s’embarqua dans les premiers jours de janvier 1766, accompagné de Hume.

En partant de Paris, il y laissait une cause qui devait, à défaut d’autre prétexte, contribuer à le brouiller avec son nouveau protecteur. Nous voulons parler de la lettre qu’Horace Walpole[1] fit

  1. Horace Walpole, fils du célèbre ministre du roi Georges II d’Angleterre, était à Paris depuis le mois d’octobre. On s’étonne qu’une femme aussi intelligente que madame du Deffand se soit laissée prendre à la suffisance aristocratique de ce lord, pour qui la noblesse de la naissance était le premier mérite. « Il disait qu’il ne pouvait sentir Rousseau parce qu’il cherchait à faire regarder la naissance comme l’effet du hasard. » On voit que le grand seigneur anglais se croyait encore au régime primitif des castes. En France, les nobles eux-mêmes n’étaient plus à ce point de vue oriental : aussi Walpole n’aimait-il pas les Français. Dans une lettre qu’il écrivait de Paris, le 22 septembre 1765, il s’exprimait ainsi : « Les Français se passionnent pour la littérature et les idées libérales. La philosophie n’a jamais eu d’attraits pour moi : je suis las de la littérature : et quant aux idées libérales, on les a plutôt pour soi que pour