Page:Aventure n° 2, déc 1921.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de votre boudoir bleu et or, très sage en mes gestes, j’avais permis d’aventureuses folies à ma pensée ; je m’étais fait jeu de ne vous en celer aucune. Vous m’aviez écouté avec une patience en laquelle ma fatuité ne voulut voir que de l’intérêt. Au reste j’avais mis tant de recherche à m’exalter moi-même, que pas un instant je ne pus croire mes paroles indifférentes. Avec le crépuscule, la pièce imprécise de la fumée de nos cigarettes me devint un illusoire paradis, où la seule réalité demeurait celle de votre présence. Petit sphinx, vous acceptiez quelque encens impondérable. J’aimais votre visage. Je vous le dis, Arabelle. Je crus au pouvoir de certains mots. Idole métallique il y eut un sourire sur vos lèvres. Vers elles qui ne la repoussèrent point ma bouche se tendit. Cédant à l’habituel désir, j’avais fait le premier geste d’amour. J’eus foi en mon bonheur, et lentement, très lentement, je quittai vos lèvres croyant y laisser de plus douces promesses. Je ne sais si, dès le début, vous aviez voulu me narguer, mais ce dont vous vous souvenez, c’est que vous vous êtes levée en éclatant de rire, et à confesser le vrai, ce vrai que je vous ai promis aujourd’hui, si j’ai définitivement renoncé à vous aimer, suivant la loi commune et douloureuse des autres hommes, c’est peut-être, quoi que j’en aie antérieurement affirmé, à cause de ce rire dont vous avez déchiré les vapeurs d’un monde où, pour un soir, j’avais cru trouver la joie.

René CREVEL