LETTRE POUR
ARABELLE
Sous prétexte de camaraderie, nous nous étions condamnés à ne jamais désirer l’amour entre nous, et pourtant, Arabelle, nous étions jeunes tous deux. Votre nom — ridicule selon certains profanes — m’eût facilement induit en de sentimentales rêveries ; vos yeux étaient verts ainsi que les yeux des séductrices américaines dans les romans ; de votre corps se dégageait un charme de saine jeunesse, et si j’avais confessé un trouble par vous mis en moi, sans doute ne m’eussiez-vous pas repoussé. Alors nous aurions été des amants satisfaits d’un moyen bonheur, mais en ma puérilité, je croyais supérieures aux joies des totales possessions, ces furtives caresses d’âme, auxquelles orgueilleusement nous réservions le nom de franche amitié. Quoique heureux à l’ordinaire de tirer profit d’avantages physiques, je m’efforçais à venir vers vous sans coquetterie. Je voulais que cette « franche amitié » vous fût offerte sans mélange. Aux heures de rencontre, lorsqu’en la mienne votre main se confiait fraîche de vie, je m’évertuais à ne pas tomber en des pensées précises et troubles à la fois, qualifiées tentations d’après