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HISTOIRE DE LA PRESSE FRANÇAISE

le plus pur du bien public, les autres par toutes les passions qui agitent des âmes basses et envieuses.

J.-P. Brissot de Warville, d’abord rédacteur du Courrier de l’Europe, eut le premier la pensée de fonder un journal politique indépendant de toute attache gouvernementale. Un séjour prolongé à Londres lui permit d’apprécier les bienfaits de la liberté, et il voulut en doter la France.

Au mois d’avril 1789, il publia le prospectus d’un journal intitulé le Patriote français, en tête duquel il inscrivit cette épigraphe empruntée au Dr Jebb, publiciste anglais : Une gazette libre est une sentinelle qui veille sans cesse pour le peuple. Les idées exposées dans ce prospectus sont vraiment remarquables ; et on nous saura gré d’en reproduire ici quelques fragments :

« Ce serait insultera la nation française que de lui démontrer longuement l’utilité et la nécessité de ce journal dans les circonstances actuelles… Il faut trouver un autre moyen que les brochures pour instruire tous les Français, sans cesse, à peu de frais, et sous une forme qui ne les fatigue pas. Ce moyen est un journal politique ou une gazette ; c’est l’unique moyen d’instruction pour une nation nombreuse, gênée dans ses facultés, peu accoutumée à lire, et qui cherche à sortir de l’ignorance et de l’esclavage. Sans les gazettes, la révolution de l’Amérique, à laquelle la France a pris une pari si glorieuse, ne se serait jamais faite… Ce sont les gazettes qui ont tiré l’Irlande de la langueur et de l’abjection où la tenait le Parlement anglais ; ce sont les gazettes qui conservent le peu de liberté politique qui reste en Angleterre.

« Mais c’est d’une gazette libre, indépendante, que le docteur Jebb parlait ainsi, car celles qui sont soumises à une censure quelconque portent avec elles un Bceau de réprobation. L’autorité, qui les domine, en écarté, ou, ce qui revient au même, est supposée en écarter les faits et les réflexions qui pourraient éclairer la nation ; elle est soupçonnée d’en commander les éloges et les satires. Eh ! jusqu’à quel point cette prostitution des gazettes censurées n’a-t-elle pas été portée dans ces derniers temps !… Mais ce trafic honteux de la presse, qui, en France, a tant avili la profession de journaliste et de gazetier, profession vraiment respectable dans un pays libre, lorsqu’elle est exercée par des hommes indépendants, ce trafic va cesser… Plus éclairée aujourd’hui, et surtout plus irréprochable, l’autorité n’arrêtera plus, ne commandera plus la pensée. L’homme de génie, le bon