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LE BERGER.


Vos yeux distingueront dans le dernier lointain
La neige du mont Blanc, toute rose au matin !
Ô désert, te voilà ! Solitude sacrée,
Livre-toi tout entière à mon âme altérée.
Permets que sur tes fleurs, à pas silencieux,
Je marche en liberté, seul en face des cieux.
Au bruit de tes ruisseaux et de tes avalanches,
Laisse-moi respirer tes lis et tes pervenches,
Et, durant tout un jour, de ton oubli profond
Couvrir l’homme et la terre et le vain bruit qu’ils font !

Un homme est là, pourtant, qui près de moi respire ;
Un homme est là, que dis-je ? un roi dans son empire,
Celui qui sous sa loi, sans quitter son repos,
Tient de l’aurore au soir ces paisibles troupeaux.
Il est jeune et robuste, il a vingt ans peut-être.
Or, la chèvre et le bœuf passant le jour à paître,
Que faire pour tromper de sauvages ennuis ?
Il fera de son mieux : la racine d’un buis
Avec choix fut cueillie, et ce bois qu’il découpe
Deviendra sous ses doigts une tasse, une coupe !
Il est à ce travail, du cœur et de la main.
« Ici, seront des fleurs, dit-il, rose et jasmin.
Là, des chevreaux dormants que veille un chien fidèle. »