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LES TRISTESSES DU TEMPS.

Il serre d’un festin le reste en son armoire,
Et jamais sans rognure il n’acquitte un mémoire.

Hélas ! tout a changé d’allures et de nom :
Don Juan n’est plus don Juan, Ninon n’est plus Ninon ;
C’est une fille adroite et savante en lésine,
Qui sait, de son boudoir, surveiller sa cuisine.
Chaque perle qu’Amour vient suspendre à son sein,
Elle l’estime au poids, encor mieux que Fossin ;
Et ce qu’un diamant en gros sous peut produire,
Elle vous le dira, rien qu’à le voir reluire.
Elle-même au marché va seule en tapinois ;
Se nourrit à huis clos de fromage et de noix ;
Revend ses oripeaux à sa meilleure amie ;
Et, quand vient le moment, sage dans l’infamie,
Pour ouvrir à Shylock, son nouveau bien-aimé,
Évince Roméo qu’elle-même a plumé !

Hélas ! hélas ! enfin, que fait au gynécée,
Que fait, le plus souvent, la femme délaissée ?
Pudique, et le cœur gros d’un deuil silencieux,
À ces tableaux impurs voile-t-elle ses yeux ?
Ainsi que la prêtresse, aux saints autels de l’âme
Entretient-elle encore une dernière flamme ?