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Comme elle est bien la digne épouse du mari absent, du soldat qui est allé combattre pour la grandeur de la cité naissante ! Ses fuseaux à la main, chaste et laborieuse, on dirait le lis des champs filant lui-même sa tunique ; on pense à la femme forte de Salomon, et l'on respire je ne sais quel parfum de cette religion domestique qui fut la mère du patriotisme romain. À une pareille figure il fallait un pendant digne d’elle : ce sera le personnage de Junius. Sur ces deux têtes repose et se partage tout l'intérêt du drame. A eux deux, Junius et Lucrèce, ils mènent faction jusqu’à son terme, jusqu’à l'heure où la femme outragée lave l'involontaire souillure dans son propre sang, et où le futur consul, poussant un cri de révolte contre les rois, apparaît comme le génie libérateur de Rome !

L’impression fut profonde. Quiconque assistait à cette première représentation en a gardé le souvenir. Après tant de terribles inventions, tant de furieux coups d’épée, tant de drames tumultueux, empruntés aux sombres chroniques du moyen âge, l'auditoire rentrait dans la douce lumière, dans la belle harmonie des œuvres antiques. C’était une impression semblable à celle qu’éprouve le voyageur quand, au sortir d’un pays montagneux et tourmenté, où ne manquent ni les noirs