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De tels sentiments gagnèrent l’estime d’Élisabeth et ajoutaient aux agréments qu’elle lui trouvait déjà.

« Mais qui donc a pu l’engager, dit-elle, à se conduire aussi mal envers vous ?

— La haine qu’il me porte, et que je ne puis attribuer qu’à des motifs de jalousie. Si feu M. Darcy m’eût moins aimé, son fils ne m’aurait vu qu’avec indifférence ; mais l’intérêt particulier que le père me témoignait a, de bonne heure, irrité celui-ci contre moi ; il n’était point d’une humeur à supporter l’espèce de rivalité qui existait entre nous deux, et encore moins les légères préférences qu’on m’accordait quelquefois.

— Je ne pensais pas que M. Darcy fût d’une méchanceté si noire ; je ne l’ai jamais aimé, mais j’étais loin de le juger aussi sévèrement qu’il le mérite… J’avais cru qu’il méprisait les hommes en général, ne le soupçonnant pourtant pas capable de tant d’injustice et d’inhumanité, et surtout d’une si basse vengeance. »

Après quelques instants de réflexion, elle reprit :

« En effet, je me rappelle, il se vanta un jour, c’était à Netherfield, que son ressentiement était implacable, que jamais il ne pardonnait. Son caractère doit être horrible ?

— Ce n’est pas à moi qu’il appartient d’en décider, répondit-il ; à peine puis-je me résoudre à être juste envers lui. »

Ces mots plongèrent Élisabeth dans de nouvelles réflexions, et tout à coup elle s’écria :

« Traiter ainsi le filleul, l’ami, le favori de son père ! » Elle eût volontiers ajouté : « Et un jeune homme aussi aimable que vous l’êtes, et dont l’air seul annonce le caractère » ; mais elle se contenta de dire : « Vous qui sans doute étiez le compagnon de son enfance.

— Nous sommes nés dans la même paroisse, sous le même toit ; nos premières années se sont passées ensemble, partageant les mêmes plaisirs, objets des mêmes soins paternels. Mon père débuta dans la carrière où monsieur votre oncle semble avoir acquis tant de réputation ; mais bientôt il y renonça pour se rendre utile à feu M. Darcy,