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à Meryton. La société, je l’avoue, m’est nécessaire ; trompé dans toutes mes espérances, je redoute la solitude, et les réflexions qu’elle me cause : il me faut non seulement de l’occupation, mais encore de la société. On ne m’a pas élevé pour être militaire, les circonstances seules me forcent à le devenir : je devais embrasser l’état ecclésiastique ; mes études pour cela étaient faites, et je serais maintenant en possession d’un très beau bénéfice, si l’homme dont nous parlions tout à l’heure l’eût voulu.

— Vraiment !

— Oui. Feu M. Darcy me légua la survivance du meilleur bénéfice dont il eût la nomination ; il était mon parrain, et m’aimait tendrement ; je ne pourrai jamais rendre assez de justice à sa bonté : il eut l’intention de fixer mon sort, il croyait l’avoir fait, mais lorsque la cure devint vacante, elle fut donnée à un autre.

— Oh ! ciel, s’écria Élisabeth, est-il possible ? Son testament ne vous donnait-il pas des droits ? Que ne les faisiez-vous valoir ?

— Un manque de formalité dans les termes de la donation m’ôtait tout pouvoir de réclamer. Un homme d’honneur n’eût pu douter des intentions de son père ; M. Darcy voulut en douter, et les regarder comme une simple recommandation conditionnelle, à laquelle, selon lui, j’avais perdu mes droits, par ma prodigalité, mon imprudence, et tout ce qu’il lui plut d’ajouter. Il y a environ deux ans la cure vint à vaquer, un autre que moi l’obtint ; cependant je venais d’accomplir ma vingt-cinquième année ainsi, à cet égard, il n’y avait nul obstacle, et je ne crois pas par ma conduite avoir mérité un tel affront. J’ai trop de franchise, je ne sais pas déguiser mes sentiments ; j’ai peut-être eu avec lui trop de sincérité, voilà, je pense, tout mon crime : le fait est que nos caractères diffèrent absolument ; et, en un mot, il me déteste.

— Cela est affreux ; il mérite d’être déshonoré.

— Un jour ou un autre, il le sera, mais jamais par moi : pour lui nuire ou le défier, il faudrait que j’oubliasse son père. »