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Londres le même jour que M. Bennet devait quitter cette ville : la voiture les conduisit donc à la poste voisine, et ramena M. Bennet à Longbourn.

Mme Gardener quitta Herfordshire sans avoir pu satisfaire sa curiosité, ou éclaircir ses soupçons sur la liaison d’Élisabeth avec le propriétaire de Pemberley. Son nom n’avait jamais été volontairement prononcé devant eux par leur nièce, et l’idée qu’avait eue Mme Gardener que sa nièce ne tarderait point à recevoir une lettre de lui, ne s’était point réalisée, car Élisabeth n’en avait reçu aucune, depuis son retour, qui pût venir de Pemberley.

Le malheur qui affligeait toute la famille rendait la tristesse d’Élisabeth si naturelle, qu’on n’en pouvait raisonnablement tirer aucune conjecture ; mais elle-même, qui à cette heure commençait à mieux connaître son propre cœur, était parfaitement convaincue que, si elle n’avait point connu M. Darcy, elle aurait pu supporter avec plus de courage l’idée du déshonneur de Lydia.

Lorsque M. Bennet arriva, il paraissait aussi calme, aussi froid qu’à son ordinaire ; il ne dit pas un mot de plus qu’il n’avait coutume de dire, ne fit point mention de l’affaire qui l’avait obligé de faire ce voyage, et quelques heures se passèrent avant que ses filles eussent le courage de lui en parler.

Ce ne fut que dans la soirée, lorsqu’il les joignit pour le thé, qu’Élisabeth se hasarda à aborder ce sujet, et alors, lui ayant brièvement exprimé son désir si sincère de lui pouvoir offrir quelques consolations, elle reçut de lui la réponse suivante :

« Ne parlons point de ce malheur ; qui doit en souffrir, si ce n’est moi ? Ce malheur est mon ouvrage, heureux encore si j’en portais seul la peine !

— Il ne faut pas vous faire de trop sévères reproches, reprit Élisabeth.

— Oui vraiment, un tel avis m’est fort utile, l’homme est naturellement si enclin à se juger sévèrement !… Non, Lizzy, laissez-moi au moins une fois dans ma vie sentir combien j’ai été coupable ; je ne crains pas que cette pensée me fasse une trop vive impression, elle passera assez tôt.