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parrain ; il le plaça d’abord dans une pension dans Derbyshire, puis au collège de Cambridge ; service d’autant plus important, que son père, toujours gêné par la prodigalité de sa femme, n’aurait pu subvenir aux frais de son éducation. Mon père non seulement se plaisait fort dans la société de ce jeune homme, dont les manières ont toujours été séduisantes, mais il avait aussi la plus haute opinion de lui, et espérant que l’état ecclésiastique serait celui qu’il choisirait, il comptait le placer avantageusement. Quant à moi, il y avait longtemps, très longtemps que j’avais commencé à le juger bien différemment ; ses inclinations vicieuses, son manque de principes, qu’il avait soin de cacher aux yeux de son meilleur ami, ne pouvaient échapper aux yeux d’un jeune homme à peu près de son âge, et qui avait occasion de le voir dans ces moments d’abandon, où l’homme le plus adroit ne saurait se déguiser. Ici encore je vais vous affliger. À quel point ? vous seule le pouvez savoir. Mais quels que soient les sentiments que M. Wickham vous ait inspirés, je ne dois point, en ce moment, y avoir égard ; au contraire, mes soupçons à ce sujet m’engagent plus vivement à vous dévoiler son caractère. Mon excellent père mourut, il y a à peu près cinq ans, et son attachement pour M. Wickham ne se démentit point un seul instant. Dans son testament, il me recommandait particulièrement de l’aider autant qu’il me serait possible dans l’état qu’il choisirait, ajoutant que s’il se décidait à se faire ordonner, il désirait que le meilleur bénéfice dont notre famille eût la nomination, lui fût donné aussitôt qu’il serait vacant. Il y avait aussi un legs de mille livres sterling. Son propre père ne survécut point longtemps au mien ; et six mois après ces événements M. Wickham m’écrivait que étant enfin décidé à ne se point faire ordonner, il espérait que je ne le croirais point déraisonnable, s’il me demandait quelque dédommagement pécuniaire, au lieu de la cure qu’il ne pouvait plus obtenir ; il avait l’intention, continuait-il, de se faire recevoir avocat, et je devais savoir que l’intérêt de mille livres sterling n’était nullement suffisant pour l’entretenir durant ses études. Je désirai croire à sa sincérité,