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je m’engageai sans peine à lui représenter tous les inconvénients d’un pareil choix ; je les lui peignis sous les plus sombres couleurs, mais ces remontrances, bien qu’elles lui fissent impression, n’auraient pu, je le crois, l’empêcher de conclure enfin ce mariage, si je ne les eusse secondées par l’assurance, que je n’hésitai point à lui donner de l’indifférence de votre sœur. Jusqu’à ce moment il avait pensé qu’il était aimé, sinon avec une égale ardeur, du moins avec sincérité ; mais Bingley a naturellement beaucoup de modestie, et se repose bien plus sur mon jugement que sur le sien : le convaincre qu’il s’était abusé, fut donc pour moi chose peu difficile ; lui persuader alors de ne point retourner dans Herfordshire fut à peine l’ouvrage d’un instant. Je ne puis me repentir d’avoir agi ainsi. Il n’y a qu’une circonstance dans cette affaire, à laquelle je ne puis réfléchir avec satisfaction : je n’ai pas craint d’employer la ruse pour éviter que le séjour de votre sœur à Londres fût connu de lui. Il est possible, probable même, que leur rencontre n’eût produit aucune suite fâcheuse, mais la passion de Bingley ne me paraissait point assez éteinte pour qu’il pût voir Mlle Bennet sans danger. Cette ruse, ce déguisement était peut-être répréhensible : enfin, j’ai agi pour le mieux ; sur ce sujet je n’ai plus rien à dire, et nulle autre excuse à vous offrir. Si j’ai causé de la peine à votre sœur, je l’ai fait sans le savoir, et quoique les motifs qui m’ont guidé vous puissent naturellement paraître insuffisants, je n’ai point encore appris à les condamner.

« Quant à cette autre et bien plus grave accusation, au sujet de ma conduite avec M. Wickham, je ne la puis réfuter qu’en vous donnant un détail exact de ses liaisons avec notre famille ; ce dont il m’a particulièrement accusé, c’est ce que j’ignore, mais je puis offrir plus d’une preuve à l’appui du récit que je vous vais faire. M. Wickham est le fils d’un homme respectable, qui, pendant de longues années, a régi la terre de Pemberley ; la probité, l’exactitude avec laquelle il s’acquittait de cette gestion, engagèrent naturellement mon père à lui être utile : sa générosité s’est manifestée à l’égard de Georges Wickham, dont il était le