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envoyer John avec ces demoiselles. Je suis heureuse que cette idée me soit venue à l’esprit. Vous vous feriez mal juger si vous les laissiez partir seules.

— Mon oncle doit nous envoyer son domestique.

— Votre oncle ! Ah ! votre oncle a un domestique ? Je suis heureuse que quelqu’un des vôtres ait pensé à ce détail. Où changez-vous de chevaux ? à Bromley, naturellement. Recommandez-vous de moi à l’hôtel de « la Cloche » et l’on sera pour vous pleins d’égards.

Lady Catherine posa encore nombre de questions aux deux jeunes filles sur leur voyage et, comme elle ne faisait pas toutes les réponses elle-même, Elizabeth dut rester attentive à la conversation, ce qui était fort heureux car avec un esprit aussi absorbé que le sien, elle aurait risqué d’oublier où elle se trouvait. Mieux valait réserver ses réflexions pour les moments où elle s’appartiendrait.

Elle s’y replongeait dès qu’elle se retrouvait seule et faisait chaque jour une promenade solitaire au cours de laquelle elle pouvait se livrer en paix aux délices de remuer des souvenirs désagréables. Elle connaissait maintenant presque par cœur la lettre de Mr. Darcy ; elle en avait étudié chaque phrase, et les sentiments qu’elle éprouvait pour son auteur variaient d’un moment à l’autre. Le souvenir de sa déclaration éveillait encore chez elle une vive indignation, mais quand elle considérait avec quelle injustice elle l’avait jugé et condamné, sa colère se retournait contre elle-même, et la déception de Darcy lui inspirait quelque compassion. Toutefois, il continuait à ne point lui plaire ; elle ne se repentait pas de l’avoir refusé et n’éprouvait aucun désir de le revoir.

Elle trouvait une source constante de déplaisir dans le souvenir de sa propre conduite et les fâcheux travers de sa famille étaient un sujet de réflexion plus pénible encore. De ce côté, il n’y avait malheureusement rien à espérer. Son père s’était toujours contenté de railler ses plus jeunes filles sans prendre la peine