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affaire. En outre, si peu agréables que fussent ses manières, jamais au cours de leurs rapports qui, plus fréquents en dernier lieu, lui avaient permis de le mieux connaître, elle n’avait rien vu chez lui qui accusât un manque de principes ou qui trahît des habitudes répréhensibles au point de vue moral ou religieux. Parmi ses relations, il était estimé et apprécié. S’il avait agi comme l’affirmait Wickham, une conduite si contraire à l’honneur et au bon droit n’aurait pu être tenue cachée, et l’amitié que lui témoignait un homme comme Bingley devenait inexplicable.

Elizabeth se sentit envahir par la honte. Elle ne pouvait penser à Darcy pas plus qu’à Wickham sans reconnaître qu’elle avait été aveugle, absurde, pleine de partialité et de préventions.

— Comment, s’exclamait-elle, ai-je pu agir de la sorte ? Moi qui étais si fière de ma clairvoyance et qui ai si souvent dédaigné la généreuse candeur de Jane ! Quelle découverte humiliante ! Humiliation trop méritée ! L’amour n’aurait pu m’aveugler davantage ; mais c’est la vanité, non l’amour, qui m’a égarée. Flattée de la préférence de l’un, froissée du manque d’égards de l’autre, je me suis abandonnée dès le début à mes préventions et j’ai jugé l’un et l’autre en dépit du bon sens.

D’elle à Bingley, de Bingley à Jane, ses pensées l’amenèrent bientôt au point sur lequel l’explication de Darcy lui avait paru insuffisante, et elle reprit la lettre. Très différent fut l’effet produit par cette seconde lecture. Comment pouvait-elle refuser à ses assertions, dans un cas, le crédit qu’elle s’était trouvée obligée de leur donner dans l’autre ? Mr. Darcy déclarait qu’il n’avait pas cru à l’attachement de Jane pour son ami. Elizabeth se rappela l’opinion que Charlotte lui avait exprimée à ce sujet : elle-même se rendait compte que Jane manifestait peu ses sentiments, même les plus vifs, et qu’il y avait dans son air et dans ses manières une sérénité qui ne donnait pas l’idée d’une grande sensibilité.