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avait révélés à son amie dans sa lettre précédente. Elle racontait avec satisfaction que son frère fréquentait beaucoup chez Mr. Darcy et décrivait avec transports les plans de celui-ci pour le renouvellement de son mobilier.

Elizabeth à qui Jane communiqua le principal de sa lettre écouta, silencieuse et pleine d’indignation, le cœur partagé entre la pitié qu’elle éprouvait pour sa sœur et le ressentiment que lui inspiraient les Bingley. Elle n’attachait aucune valeur à ce que disait Caroline sur l’admiration de son frère pour miss Darcy ; de la tendresse de celui-ci pour Jane elle n’avait jamais douté et n’en doutait pas encore, mais elle ne pouvait sans colère, à peine sans mépris, songer à ce manque de décision qui faisait de lui actuellement le jouet des intrigues des siens et l’amenait à sacrifier son bonheur à leurs préférences. Et s’il ne s’agissait que de son bonheur !… libre à lui d’en disposer. Mais celui de Jane aussi était en jeu et il ne pouvait l’ignorer.

Un jour ou deux se passèrent avant que Jane eût le courage d’aborder ce sujet avec Elizabeth, mais une après-midi où sa mère avait plus encore que d’habitude épanché son irritation contre le maître de Netherfield, elle ne put s’empêcher de dire :

— Comme je souhaiterais que notre mère eût un peu plus d’empire sur elle-même ! Elle ne se doute pas de la peine qu’elle me cause avec ses allusions continuelles à Mr. Bingley. Mais je ne veux pas me plaindre. Tout cela passera et nous nous retrouverons comme auparavant.

Elizabeth, sans répondre, regarda sa sœur avec une tendresse incrédule.

— Vous ne me croyez pas ! s’écria Jane en rougissant ; vous avez tort. Il restera dans ma mémoire comme l’homme le plus aimable que j’aie connu. Mais c’est tout. Je n’ai rien à lui reprocher ; — Dieu soit loué de m’avoir, du moins, évité ce chagrin. — Aussi, dans un peu de temps… je serai certainement capable de me ressaisir.