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poser

qu’il ne tardera pas à mettre son projet à exécution : il n’a pas parlé hier, j’en infère qu’il est allé aujourd’hui chez Mme Goddard.

Mais, dit Emma, qui depuis le commencement de ce discours souriait intérieurement, comment savez-vous que M. Martin ne s’est pas déclaré hier ?

— Ce n’est qu’une supposition, évidemment, mais elle me paraît plausible. Harriet n’a-t-elle pas passé toute la journée avec vous ?

— Allons, dit-elle, je vais vous faire une confidence en échange de la vôtre. Il a parlé hier ou pour mieux dire, il a fait sa demande par écrit et il n’a pas été agréé.

Elle dut répéter à deux reprises la dernière phrase pour convaincre son interlocuteur. M. Knightley se leva brusquement, le sang au visage, et dit d’un ton où perçaient la surprise et le dépit :

— Alors, c’est une plus grande sotte que je ne l’avais imaginé !

— Ah ! dit Emma, les hommes ne peuvent jamais s’expliquer qu’une femme rejette une demande en mariage : il leur semble qu’on ne saurait récuser pareil honneur !

— Qu’est-ce que vous dites ? Les hommes ne s’imaginent rien de tout cela. Que signifie cette nouvelle : Harriet Smith refuser Robert Martin ! Quelle folie ! Mais j’espère que vous vous trompez.

— J’ai vu sa réponse, rien ne pouvait être plus clair.

— Vous avez vu sa réponse ! Et sans doute vous l’avez dictée ! Emma, ceci est votre œuvre ; c’est vous qui avez persuadé Harriet de refuser.

— Quand bien même je serais intervenue (ce qui n’est nullement le cas) je ne croirais pas avoir mal fait ! M. Martin est un jeune homme respectable, mais je ne puis admettre qu’il soit l’égal d’Harriet ; ses scrupules étaient justifiés.

— Comment pas l’égal d’Harriet ! reprit M. Knightley en élevant la voix.

Puis il ajouta quelques instants après, d’un ton radouci mais incisif :