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sirais la mieux connaître. J’ai quelquefois eu l’idée que vous me soupçonniez de plaider la cause du pauvre Robert Martin : ce n’était pas le cas. Après l’avoir bien observée j’ai acquis la conviction que c’est une aimable et simple créature, avec d’excellents principes, et mettant son bonheur dans les affections et les devoirs de la vie conjugale. Elle vous doit sans doute en partie les progrès réalisés.

— Moi ! reprit Emma, en secouant la tête. Ah ! pauvre Henriette !

Néanmoins, elle se contint et supporta patiemment cette louange imméritée.

À ce moment, M. Woodhouse entra et leur conversation prit fin. Emma ne le regretta pas, car elle désirait être seule.

Cette nouvelle l’avait mise dans un état d’agitation qui lui enlevait sa présence d’esprit. Elle aurait voulu danser, chanter, crier, et elle ne pouvait prêter attention à d’autres propos. Son père venait annoncer que James attelait les chevaux pour les conduire à Randalls où ils faisaient maintenant une visite quotidienne : ce fut une excellente excuse pour quitter le salon.

La joie et le bonheur d’Emma peuvent être facilement imaginés ; seul, le souci de l’avenir d’Henriette l’empêchait d’être parfaitement heureuse. Qu’avait-elle à désirer maintenant ? Rien, sinon de devenir plus digne de celui dont le jugement s’était montré si supérieur au sien ; elle souhaitait aussi que le souvenir de ses folies passées lui enseignât l’humilité et la circonspection pour l’avenir. Elle était très sérieuse dans ses résolutions et, pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de rire de temps en temps, en pensant à l’éclosion d’une nouvelle idylle, aboutissement d’un désespoir qui datait de cinq semaines ! Maintenant, elle pourrait voir revenir Henriette avec plaisir ; toutes les conséquences lui paraissaient agréables ; elle ferait bien volontiers la connaissance de R. Martin.