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conquérir ! Dans l’espace d’une demi-heure, ils étaient passés l’un et l’autre du désespoir à un état de parfaite béatitude. M. Knightley avait commencé à être amoureux d’Emma et jaloux de Frank Churchill à peu près à la même époque, le second sentiment l’ayant sans doute éclairé sur le premier.

À la suite de l’excursion de Box Hill, il résolut de partir afin de ne plus être témoin d’attentions et d’encouragements de ce genre. Il voulait essayer de devenir indifférent, mais il avait mal choisi le lieu de sa retraite : le bonheur domestique s’épanouissait dans la maison de son frère ; la femme y tenait un trop beau rôle et la cure s’était révélée peu efficace. Cependant ce fut seulement quand il connut le roman de Jane Fairfax, qu’il se décida à revenir. Il se réjouit sans arrière-pensée, car il jugeait Frank Churchill indigne d’Emma ; son anxiété et sa sollicitude pour celle-ci lui avait conseillé un départ immédiat. Il se mit en route, à cheval, par la pluie et, dès le déjeuner, se rendit à Hartfield. Il avait trouvé Emma agitée et déprimée : Frank Churchill était un misérable ! Il l’entendit ensuite déclarer n’avoir jamais aimé ce jeune homme : son humeur était aussitôt adoucie et une paternelle indulgence pour les erreurs de Frank Churchill remplaça son intransigeance antérieure. Lorsqu’il reprit le chemin de la maison, M. Knightley, tout en marchant, tenait Emma par la main et il savait qu’elle était sienne ; il aurait, à cet instant – si sa pensée avait pu s’arrêter sur Frank Churchill – porté sur lui un jugement bienveillant !




XLIX


Emma rentra dans le salon avec des sentiments tout différents de ceux qui l’en avaient fait sortir : elle espérait alors trouver un peu de répit à sa souffrance, et maintenant elle éprouvait une sorte de vertige en face du bonheur qui venait si soudainement de lui échoir.

Ils s’assirent autour de la table à thé : cette réunion si simple et si habituelle prit, ce jour-là, aux yeux d’Emma, une signification nouvelle ; elle réussit avec peine à dissimuler son émotion et à se montrer une attentive maîtresse de maison.