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toujours eu des prétentions à la sagacité, je suis particulièrement coupable. Diverses circonstances favorisèrent la tentation : il venait continuellement à la maison, c’était le fils de M. Weston, il ne me déplaisait pas. Pour tout dire, ma vanité était flattée et j’ai permis qu’il me fît la cour. Depuis longtemps du reste je n’attachais aucune importance à ses attentions ; je les considérais comme une habitude et je ne les prenais pas au sérieux. Il s’était imposé à moi, mais il n’a jamais touché mon cœur. Et maintenant je m’explique sa conduite : il n’a jamais cherché à se faire aimer ; il se servait simplement de moi pour cacher ses desseins véritables ; son but était de tromper tout le monde et personne à coup sûr ne s’est laissé prendre à son manège avec plus de naïveté que moi. Mais si j’ai joué avec le feu, j’ai eu la bonne fortune de ne pas me brûler.

Il garde le silence quelques instants, parut réfléchir et répondit enfin de son ton habituel :

— Je n’ai jamais eu haute opinion de Frank Churchill, mais il est possible que je l’aie mal jugé : nos relations ont été très superficielles. Dans tous les cas, il se peut qu’il s’amende. Avec une telle femme on est en droit de tout espérer. À cause d’elle dont le bonheur dépend de la conduite et de la valeur morale du jeune homme, je suis disposé à lui faire crédit pour l’avenir.

— Je ne doute pas qu’ils soient heureux, dit Emma ; je crois qu’ils sont sincèrement attachés l’un à l’autre.

— C’est un homme chanceux, reprit-il avec énergie. Si tôt dans la vie, à vingt-trois ans, à un âge où si l’on choisit une femme on choisit généralement mal, il est aimé de cette charmante créature ! Que d’années de félicité, d’après les prévisions normales, Frank Churchill a devant lui. La fortune a singulièrement favorisé ce jeune homme, il fait connaissance d’une jeune fille à Weymouth, gagne son affection, la conserve malgré sa légèreté et sa négligence ; et il se trouve que si sa famille avait cherché une femme parfaite de par le monde, elle n’aurait pu trouver mieux. Sa tante le gênait ; elle meurt. Il n’a qu’à parler et ses amis