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êtes trop bonne pour ne pas souhaiter mon bonheur, je le sais.

Emma regarda Henriette d’un air consterné et dit :

— Avez-vous l’idée, Henriette, que M. Knightley réponde à votre affection ?

— Oui, reprit Henriette avec modestie, mais avec fermeté, j’ai lieu de le croire.

Emma détourna la tête aussitôt et elle demeura immobile, muette, le regard fixe : quelques minutes suffirent pour lui faire connaître le tréfonds de son cœur. La raison de sa souffrance aigüe qu’elle ressentait à la pensée qu’Henriette fût éprise de M. Knightley et peut-être payée de retour, lui fut soudain révélée : c’était elle-même et non une autre que M. Knightley devait épouser ! Elle s’efforça pourtant, par respect pour elle-même, de conserver les apparences ; de plus elle n’oubliait pas ses torts à l’égard d’Henriette, et elle ne se sentait pas le droit de la rendre malheureuse par sa froideur ; elle prit donc la résolution d’écouter avec calme et même avec intérêt. Dans son propre avantage, du reste, il convenait qu’elle fût mise au courant de toute l’étendue des espérances d’Henriette ; celle-ci n’avait rien fait pour mériter de perdre une affection qui avait été si résolument entretenue, et pour être blessée par la personne dont les conseils lui avaient été si funestes.

Emma en conséquence mit fin à ses réflexions, dissimula son émotion et se tournant vers Henriette, elle reprit la conversation d’un ton plus engageant. Henriette, de son côté, s’était laissée aller à évoquer d’encourageants souvenirs et n’attendait que d’en être priée pour donner de nouveaux détails. Emma écoutait avec patience le récit d’Henriette ; il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il fût parfaitement ordonné et méthodique, mais une fois séparé des ornements superflus, des répétitions, il restait une réalité suffisante pour la désespérer.

— Depuis le soir où il a dansé avec moi, dit-elle, je me suis aperçue d’un changement complet dans la manière de M. Knightley ; il m’adressait souvent la parole et ne manquait aucune occasion de se montrer empressé. Dernièrement ses attentions sont devenues encore plus marquées et pendant les diverses promenades