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et fut sur le point de la porter à ses lèvres ; il s’arrêta pourtant et la laissa retomber. Elle ne put s’expliquer pourquoi il avait eu ce scrupule, pourquoi il avait changé d’idée ; l’intention, toutefois, était indubitable ; Emma apprécia d’autant plus cette pensée que les manières de M. Knightley n’étaient d’ordinaire empreintes d’aucune galanterie. Un instant après, il prit congé : il agissait toujours avec la vivacité d’un homme qui ne peut souffrir l’indécision, mais il parut, ce jour-là, apporter à son adieu une soudaineté particulière. Emma regrettait de n’avoir pas quitté Mlle Bates dix minutes plus tôt, car elle aurait beaucoup aimé causer de Jane Fairfax avec M. Knightley. D’autre part, elle se réjouissait de la visite à Brunswick-Square, car elle savait combien Isabelle et son mari seraient heureux ; elle eût seulement préféré être avertie un peu à l’avance.

Dans l’espoir de distraire son père et de lui faire oublier le départ précipité de M. Knightley, Emma s’empressa de donner la nouvelle concernant Jane Fairfax : la diversion eut un plein succès ; M. Woodhouse fut intéressé sans être agité : il était accoutumé depuis longtemps à l’idée de voir Mlle Fairfax s’engager comme gouvernante et il pouvait parler de cet exil avec sérénité, tandis que le départ inopiné de M. Knightley pour Londres lui avait porté un coup sensible.

— Je suis heureux, ma chère, répondit-il, d’apprendre que Jane a trouvé une bonne situation. Mme Elton est une aimable femme et ses amis sont sans doute très comme il faut. Savez-vous si le pays est humide ? On aura grand soin, j’espère, de sa santé, ce devrait être, à mon avis, la préoccupation dominante. Nous avons toujours agi ainsi pour la pauvre Mlle Taylor !

Le lendemain une nouvelle inattendue arriva de Richmond et tout le monde se trouva relégué au second plan ; un messager apporta une lettre qui annonçait la mort de Mme Churchill : celle-ci n’avait vécu que trente-six heures après le retour de son neveu ; une crise soudaine l’avait emportée après une courte lutte. L’importante Mme Churchill n’était plus !

Des sentiments de sympathie s’éveillèrent tardivement pour la défunte. Mme Churchill se trouvait du reste réhabilité à un certain point