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triomphalement, Jane rougit ; son trouble contribua à donner plus d’importance à l’incident et M. Knightley ne douta pas que les lettres ne fussent un prétexte de galanterie et de dissimulation : c’était un jeu d’enfant derrière lequel Frank Churchill cherchait à abriter ses desseins secrets. Ce dernier était en train de préparer un nouveau mot et il le passa à Emma, en affectant un air d’innocence. Emma eut vite fait de le découvrir ; elle était très amusée, mais se crut forcée de dire :

— Quelle folie ! N’avez-vous pas honte ?

Frank Churchill dit alors en jetant un regard vers Jane :

— Je vais le lui montrer, n’est-ce pas ?

Et Emma répondit en riant :

— Non, certainement non, vous ne ferez pas cela.

Cependant ce fut fait : le jeune homme se hâta de passer les lettres à Mlle Fairfax en la priant fort poliment de bien vouloir les étudier. M. Knightley fit tous ses efforts pour déchiffrer le mot. Il ne fut pas long à lire « Dixon » : Jane Fairfax, de son côté, en découvrit facilement le sens littéral, et sans doute aussi le sens figuré, car elle baissa les yeux et rougit encore une fois en disant :

— Je ne savais pas que les noms propres fussent autorisés.

Elle repoussa ensuite les lettres d’un air mécontent, et son attitude indiqua clairement sa résolution de ne plus prendre part au jeu. Elle détourna la tête de ceux qui avaient préparé l’attaque et regarda sa tante :

— Vous avez raison, ma chère, s’écria Mlle Bates, répondant à cette invitation muette, j’allais précisément le dire : il est temps de partir ; la soirée s’avance et grand’mère serait inquiète. Vous êtes trop aimable, mon cher Monsieur, il faut absolument que nous vous souhaitions le bonsoir.

L’empressement que Jane mit à se lever témoigna que sa tante avait deviné juste ; la jeune fille voulut s’éloigner de la table, mais on l’entourait et elle ne put se dégager immédiatement ; M. Knightley vit alors Frank Churchill pousser anxieusement vers elle une autre série