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n’est pas la jeune fille supérieure que devrait être l’amie d’Emma… je l’accorde ; mais d’autre part, je sais qu’Emma se propose de lire avec Harriet, ce sera pour elle une occasion de s’occuper sérieusement.

— Depuis qu’elle a douze ans, Emma a l’intention de s’adonner à la lecture. Elle a dressé à différentes époques la liste des ouvrages qu’elle voulait lire. Je me rappelle avoir conservé un plan d’études composé à quatorze ans et qui faisait honneur à son jugement. Mais j’ai renoncé à attendre d’Emma un effort sérieux dans ce sens ; jamais elle ne se soumettra à un travail qui exige de la patience et de la suite. À coup sûr là où Mlle Taylor a échoué, Harriet Smith ne réussira pas ! Vous savez bien que vous n’avez jamais pu obtenir qu’elle consacrât à la lecture le temps nécessaire.

— Il est possible, répondit Mme Weston en souriant, que tel ait été mon avis à cette époque, mais depuis notre séparation j’ai perdu tout souvenir qu’Emma ait jamais refusé de complaire à mes désirs.

— Il serait cruel de chercher à guérir ce genre d’amnésie, répondit M. Knightley affectueusement, mais moi dont aucun charme n’a émoussé les sens, je vois, j’entends et je me rappelle. Ce qui a gâté Emma c’est d’être la plus intelligente de sa famille ; elle a toujours fait preuve de vivacité d’esprit et d’assurance : Isabelle, au contraire, était timide et d’intelligence moyenne. Depuis l’âge de douze ans, c’est la volonté d’Emma qui a prévalu à Hartfield. En perdant sa mère, elle a perdu la seule personne qui aurait pu lui tenir tête. Elle a hérité de l’intelligence de Mme Woodhouse, mais le joug maternel lui a manqué.

— Si j’avais quitté la famille de M. Woodhouse pour chercher une autre situation, je n’aurais pas voulu dépendre d’une recommandation de votre part ; vous n’auriez fait mes éloges à personne et je me rends compte que vous m’avez toujours jugée inférieure à la charge que j’avais assumée.