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contredire, mais il déclara compatir au désappointement de tous et il ajouta avec bonté :

— Pour vous, Emma, qui avez si peu l’occasion de danser, ce n’est vraiment pas de chance !

Emma s’attendait à ce que Jane Fairfax prît une part active aux regrets causés par ce contre-temps, mais à quelques jours de là elle put constater la parfaite indifférence de la jeune fille ; celle-ci avait été assez souffrante de maux de tête et Mlle Bates déclara que de toute façon sa nièce n’aurait pu assister au bal. L’inconcevable sang-froid dont Jane fit preuve dans cette circonstance fut pour Emma un nouveau grief ajouté à beaucoup d’autres.




XXXI


Emma reconnut bientôt que les ravages causés par Frank Churchill étaient peu considérables. Elle avait grand plaisir à entendre parler de lui ; elle espérait qu’une visite au printemps serait possible mais elle n’était nullement malheureuse ; le premier moment passé elle s’était mise à vaquer gaiement, comme d’habitude, à ses occupations. Tout en rendant justice aux qualités du jeune homme elle voyait clairement ses défauts ; et de plus, si le souvenir de Frank Churchill occupait souvent sa pensée, aux heures de loisir, les plans, les dialogues, les lettres, les déclarations qu’elle imaginait aboutissaient invariablement à un refus de sa part. Ils se séparaient avec de tendres paroles, mais la séparation était fatale : elle se rendait compte que, malgré sa résolution de ne pas quitter son père, de ne jamais se marier, un attachement sérieux lui aurait rendu la lutte plus pénible.

« Il n’appert pas que je fasse grand usage du mot sacrifice, se dit-elle, dans mes aimables refus, ni dans mes spirituelles réponses, Frank Churchil évidemment n’est pas nécessaire à mon bonheur et je m’en réjouis. D’autre part, il est, je crois, très amoureux et s’il revient, je me tiendrai sur mes gardes et j’éviterai toute apparence d’encouragement. Ce serait inexcusable d’agir autrement étant décidée à ne pas