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sa femme ; j’aurai toujours de l’amitié pour les demoiselles Martin, surtout pour Elisabeth, que je serais bien fâchée d’abandonner ; elles sont tout aussi bien élevées que moi, mais si leur frère épouse une femme ignorante et vulgaire, j’éviterai de la rencontrer, à moins d’y être forcée.

Emma observait Harriet et ne discerna aucun symptôme véritablement alarmant : rien n’indiquait que les racines de cette sympathie fussent bien profondes.

Le lendemain, en se promenant sur la route de Donwell, elles rencontrèrent M. Martin. Il était à pied et, après avoir salué respectueusement Emma, il regarda Harriet avec une satisfaction non déguisée ; celle-ci s’arrêta pour lui parler, et Emma continua sa route ; au bout de quelques pas, elle se retourna pour examiner le groupe et elle eut vite fait de se rendre compte de l’apparence de M. Martin ; sa mise était soignée et ses manières décentes ; rien de plus. Emma savait qu’Harriet avait été frappée de l’exquise urbanité de M. Woodhouse et elle ne doutait pas que celle-ci ne s’aperçût du manque d’élégance de M. Martin. Au bout de quelques minutes, les deux jeunes gens se séparèrent, et Harriet rejoignit Emma en courant, la figure rayonnante ; elle dit aussitôt :

« Quelle curieuse coïncidence ! C’est tout à fait par hasard, m’a-t-il dit, qu’il a pris cette route. Il n’a pas encore pu se procurer la « Romance de la forêt », il a été si occupé pendant son dernier voyage à Kingston, qu’il a tout à fait oublié, mais il y retourne demain. Eh bien ! Mlle Woodhouse, l’imaginiez-vous ainsi ? Quelle est votre opinion ? Le trouvez-vous laid ?