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vie de recluse, là les plaisirs se seraient succédé. Quant à la préférence donnée à l’air natal je ne puis y ajouter foi. Si nous étions en été ce prétexte aurait pu a la rigueur paraître plausible, mais quel bénéfice peut-elle tirer d’un séjour à Highbury pendant les mois de janvier, février et mars ? De bons feux et une voiture seraient beaucoup plus indiqués pour une santé délicate. Je ne vous demande pas d’adopter tous mes soupçons mais je vous les fais honnêtement connaître.

— Et sur ma parole, ils ont un grand air de vérité. Je me porte garant de la prédilection de M. Dixon pour le talent de Mlle Fairfax.

— De plus il lui a sauvé la vie au cours d’une promenade sur l’eau ; elle allait, paraît-il, passer par dessus bord quand il la retint.

— C’est exact : j’étais là.

— Vous avez assisté à la scène ! Comment ne vous a-t-elle pas suggéré l’idée que je viens d’émettre ?

— Je n’ai vu que le fait lui-même ; ce fut du reste l’affaire d’un moment. Après coup, l’alarme fut trop grande et trop générale pour permettre d’observer des symptômes de trouble particulier chez l’un de nous.

— Soyez sûr que d’ici peu nous serons fixés sur la provenance de ce piano par une lettre de M. et de Mme Dixon.

— Et si les Dixon en désavouent absolument la paternité, il nous faudra revenir aux Campbell ?

— Non, il faut écarter les Campbell. Mlle Fairfax aurait dès le début pensé à cette attribution si elle l’avait cru possible. Peut-être ne vous ai-je pas persuadé, mais à mon avis, M. Dixon est le Deus ex machina de cette affaire.

— Cette supposition me fait injure ; votre raisonnement m’entraîne à sa suite ; au début, tant que vous avez considéré le colonel Campbell comme le donateur probable, je voyais dans cet envoi la preuve d’une affection paternelle ; quand vous avez fait allusion à Mme Dixon, cette hypothèse m’a immédiate-