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— À la place de Mlle Campbell je n’aurais pas été flattée de voir mon fiancé témoigner d’un goût plus prononcé pour la musique que pour ma personne ; cette hypertrophie du sens de l’ouïe au détriment de celui de la vue ne m’eut pas agréée ! Comment Mlle Campbell paraissait-elle accepter cette option ?

— Il s’agissait, vous le savez, de son amie intime.

— Triste consolation ! dit Emma en riant ; on aimerait mieux voir préférer une étrangère : on pourrait espérer alors que le cas ne se représenterait pas, mais quelle misère d’avoir une amie toujours à portée pour faire tout mieux que soi ! Pauvre Mme Dixon ! Eh bien vraiment, je suis contente qu’elle soit allée s’établir en Irlande.

— Sans doute, ce n’était pas flatteur pour Mlle Campbell, mais elle ne semblait pas en souffrir.

— Tant mieux pour elle ou tant pis ! Il est difficile de discerner le mobile de cette résignation : douceur de caractère ou manque d’intelligence, vivacité d’amitié ou apathie. De toute façon, Mlle Fairfax devait se sentir extrêmement gênée.

— Je ne puis pas dire si…

— Oh ! ne croyez pas que j’attende de vous une analyse des sensations de Mlle Fairfax ! Elle ne fait de confidences à personne ; mais le fait d’accepter de se mettre au piano, toutes les fois que M. Dixon le lui demandait, prête à des interprétations objectives.

— Il paraissait y avoir entre eux une si parfaite entente, reprit-il avec vivacité ; puis se ravisant, il ajouta : Naturellement il m’est impossible d’apprécier dans quels termes ils étaient réellement, ni ce qui se passait dans les coulisses : extérieurement tout était à l’union. Mais vous, Mademoiselle Woodhouse, qui connaissez Mlle Fairfax depuis son enfance, vous êtes à même de connaître la façon dont elle se comporterait dans une situation difficile.