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avait tout d’abord suggérée ; il lui paraissait probable maintenant que cet amour n’était pas partagé. Dans ce cas, elle jugeait que rien ne pouvait être plus honorable que le sacrifice auquel la jeune fille s’était résolue ; elle admettait que c’était poussée par le plus pur des motifs que Jane se refusait à aller en Irlande, et afin de se séparer définitivement de lui et de toute la famille, qu’elle avait décidé de commencer sans nouveau délai sa carrière de devoirs.

Dans l’ensemble, Emma la quitta avec des sentiments si radoucis et charitables qu’en rentrant chez elle elle se prit à songer et à regretter qu’Highbury ne puisse fournir aucun jeune homme en état de donner l’indépendance à cette jolie créature.

Ces charmantes dispositions ne furent point de longue durée. En effet, avant qu’Emma ne se fut publiquement compromise par une protestation d’amitié pour Jane Fairfax, qu’elle n’eut fait amende honorable et rétracté ses anciens préjugés d’une façon plus explicite qu’en disant à M. Knightley « elle est certainement très belle » ; ses sentiments s’étaient de nouveau modifiés : Jane était venue passer une soirée à Hartfield avec sa grand-mère et sa tante. Emma avait pu constater que les causes d’agacement subsistaient toujours. La tante était aussi ennuyeuse que d’habitude, plus même, car à son admiration pour les facultés de Jane venait s’ajouter maintenant l’anxiété pour la santé de sa nièce ; ils eurent à subir l’évaluation de l’exacte quantité de pain et de beurre que Jane mangeait à déjeuner, de la petite tranche de mouton qu’elle pouvait supporter à dîner ; il fallut examiner les nouveaux bonnets et les sacs à ouvrage que Jane avait confectionnés pour ses parentes ! On fit de la musique : Emma fut forcée de s’asseoir la première au piano et elle eut l’impression que les