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sons qui l’avaient empêchée d’accompagner les Campbell en Irlande était l’expression de la vérité sinon de la vérité tout entière : c’était bien elle qui avait choisi l’alternative de consacrer à ses parents d’Highbury tout le temps de l’absence des Campbell, de passer ses derniers mois de liberté avec celles qui l’aimaient tant ; les Campbell de leur côté approuvèrent immédiatement ce projet qui leur paraissait à tous les points de vue opportun. Highbury devait donc, au lieu de recevoir la visite attendue de M. Frank Churchill ; se contenter pour le moment de la présence de Jane Fairfax qui n’avait pas le mérite de la nouveauté.

Il déplaisait à Emma de devoir se montrer polie et attentive pendant plusieurs mois vis-à-vis d’une personne qu’elle n’aimait pas : elle savait qu’elle serait contrainte de faire plus qu’elle ne le désirait et que, malgré tout, ce ne serait pas assez ! Elle n’aurait pas su dire pourquoi Jane Fairfax ne lui était pas sympathique : M. Knightley lui avait dit une fois que c’était parce qu’elle voyait en Jane la jeune fille véritablement accomplie qu’elle avait l’ambition de paraître ; et bien que cette imputation eût été sur le moment résolument contredite, la conscience d’Emma n’était pas parfaitement tranquille à ce sujet. Il lui avait toujours été impossible d’arriver avec Jane à des relations d’intimité ; elle s’étonnait de trouver chez la jeune fille une sorte de froideur, une réserve qui pouvait à bon droit passer pour de l’indifférence ; un autre de ses griefs contre Jane était le bavardage éternel de Mlle Bates ! Elle n’avait pas de meilleures raisons à invoquer. En réalité, cette antipathie était si injustifiée qu’elle ne revoyait jamais Jane Fairfax, après une longue absence, sans se rendre compte qu’elle l’avait mal jugée. Ce fut précisément l’impression qu’elle ressentit lors de la première visite qu’elle fit aux Bates après l’arrivée de Jane Fairfax.

Emma fut particulièrement frappée par l’apparence et les manières de celle qu’elle s’ingéniait à déprécier depuis deux ans. La taille de Jane Fairfax était au-dessus de la moyenne, sa tournure particulièrement gracieuse ; elle était parfaitement proportionnée.

(À suivre.)