Page:Austen - Emma.djvu/137

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sée. La triste échéance fut reculée ; on décida que Jane était encore trop jeune pour quitter la maison, elle demeura donc avec eux partageant comme une autre fille tous les plaisirs d’une société élégante, et tous les agréments d’un confortable intérieur ; Jane ne pouvait pourtant s’empêcher de penser et son bon sens lui rappelait que cette vie ne pouvait durer. L’affection de toute la famille et en particulier la tendresse de Miss Campbell faisait d’autant plus honneur aux deux parties que la supériorité de Jane tant par la beauté que par les dons intellectuels était évidente. Néanmoins leur intimité demeura aussi étroite jusqu’au mariage de Mlle Campbell ; celle-ci attira l’affection d’un jeune homme riche et agréable, M. Dixon, peu après avoir fait sa connaissance ; elle fut demandée en mariage sans délai et se trouva heureusement établie tandis que Jane Fairfax, restait, malgré son charme incontestable, avec la seule perspective d’avoir à gagner sa vie. Jane avait résolu qu’à l’âge de vingt et un ans une nouvelle période commencerait pour elle : elle accomplirait le sacrifice complet pour lequel elle se préparait depuis longtemps, elle renoncerait aux plaisirs de la vie, aux satisfactions du monde pour accepter le joug de sa nouvelle existence.

Le bon sens du colonel et de Mme Campbell ne pouvait pas s’opposer à cette résolution qui leur était pourtant pénible. Ils savaient que tant qu’ils vivraient aucun travail n’était nécessaire ; leur intérieur serait toujours celui de Jane ; pour leur propre satisfaction ils auraient voulu la garder près d’eux ; mais c’était agir en égoïstes : il était préférable que ce qui devait être, fût de suite. Peut-être même commençaient-ils à sentir qu’ils auraient mieux fait d’épargner à la jeune fille l’occasion de prendre goût à une vie de loisirs à laquelle elle devait renoncer aujourd’hui. Néanmoins, ils furent heureux de se raccrocher à une excuse raisonnable pour prolonger de quelques mois la bienfaisante trêve ; Jane n’avait jamais été tout à fait bien portante depuis le mariage de leur fille et, en conséquence ils déclarèrent s’opposer à ce qu’elle assumât de nouveaux devoirs tant qu’elle n’aurait pas retrouvé toutes ses forces.

Le récit que Jane avait fait à sa tante des rai-