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soleil verse sur ces matelots ses flammes verticales, le miroir des eaux réfléchit leurs formes et réduit les ombres éorasées de leurs corps renversés : et, suivant que leurs mouvements agiles s’opèrent ou de la droite ou de la gauche, et qu’ils déposent ou reprennent tour à tour la rame pesante, l’onde dessine d’autres matelots et reproduit leur humide ressemblance. Les jeunes bateliers s’amusent à voir ainsi leur image : ils admirent ces figures trompeuses que le fleuve ramène toujours. Ainsi, pour lui montrer l’arrangement de sa chevelure, quand pour la première fois, à son élève chérie, la nourrice présente la blanche surface du miroir dont l’éclat au loin rayonne, l’enfant jouit à plaisir d’un prestige dont elle ignore la cause ; elle croit voir les traits d’une jeune sœur, elle donne au métal brillant des baisers qu’il ne sait pas lui rendre ; elle veut toucher ces aiguilles, et de ses doigts qu’elle porte vivement au bord du front, elle essaye de lisser encore cette chevelure. De même nos matelots, devant ces ombres qui les abusent, jouissent de ces formes indécises de la fiction et de la réalité.

Cependant, aux lieux où la rive donne un accès facile, une foule dévastatrice fouille en tous sens les abîmes du fleuve. Pauvre poisson, hélas ! que protégeront mal ses retraites profondes ! Un pécheur, traînant au loin en pleine eau ses lins humides, balaye des essaims de poissons qui se prennent en ses mailles noueuses. Un autre, à l’endroit où le fleuve promène des flots paisibles, étend ses filets qui flottent avec leurs signaux de liège. Celui-là, du haut d’un rocher, se penche sur l’onde, incline la tige courbée d’une verge flexible, et lance ses hameçons garnis d’amorces mortelles. Ignorant le piège, le