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fortunée. J’obtins ce que je demandais : ma prière fut exaucée. Je m’endormis d’un sommeil tranquille, et je laissai à d’autres l’espoir, les désirs et la crainte. Au milieu des regrets de mes amis, je mourus sans regrets, après avoir réglé les dispositions de mes funérailles. Je vécus quatre-vingt-dix ans, sans bâton, et avec l’usage entier de tous mes membres et de toutes mes facultés. Toi qui liras ces vers, tu ne refuseras pas de dire : Telle fut ta vie, qu’elle me fait envie.


III. La petite villa d’Ausone.

[Après plusieurs années passées dans les honneurs, car il avait été consul, Ausone quitta la cour et retourna dans sa patrie. En entrant dans la petite villa que son père lui avait laissée, il s’amusa à faire ces vers, à la manière de Lucilius.]

Salut, petit héritage, royaume de mes ancêtres, que mon bisaïeul, que mon aïeul, que mon père a cultivé, que m’a laissé mon père enlevé déjà vieux par une mort trop rapide encore. Hélas ! j’aurais voulu pouvoir ne pas sitôt jouir ! Sans doute il est dans l’ordre de la nature qu’on succède à son père ; mais, quand on s’aime bien, il est plus doux de posséder ensemble. À moi maintenant les travaux et les soucis : auparavant le plaisir seul était mon partage ; le reste regardait mon père. Bien petit est mon petit héritage, j’en conviens ; mais rien ne semble petit quand on vit en paix avec soi-même, et, on peut ajouter, en paix avec les autres. Il vaut mieux, je pense, que la chose obéisse à l’esprit, que l’esprit à la chose. Crésus désire tout, et Diogène rien. Aristippe jette