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la file, une pure niaiserie. On découpe ces lambeaux à toutes les césures admises par le vers héroïque, de manière que la première penthémiméris d’un vers puisse s’en chaîner avec l’anapestique qui en termine un autre, ou la césure du trochée avec une fin de vers, ou sept demi-pieds avec un anapestique chorique, ou avec un dactyle et un demi-pied tout ce qui reste pour l’hexamètre. C’est comme qui dirait le jeu des ostomaties chez les Grecs. Ce sont des osselets qui forment en tout quatorze figures géométriques : il y en a d’équilatérales, de triangulaires, à lignes droites, à angles droits ou obtus ; ou, pour parler grec, isocèles, isopleures, orthogones, scalènes. Des divers assemblages de ces osselets se dessinent mille sortes d’images : un Éléphant monstrueux, un lourd Sanglier, une Oie qui vole, un Mirmillon sous les armes, un Chasseur à l’affût, un Chien qui aboie, une Tourterelle, un Canthare, et un nombre infini d’autres figures qui varient suivant le plus ou le moins d’habileté du joueur. Ces combinaisons, sous une main adroite, tiennent du prodige : un maladroit ne fait qu’un agencement ridicule. Cela dit, tu sauras que je n’ai pu imiter que ce dernier. Le centon est donc une œuvre qui se traite de la même manière que ce jeu. Ce sont des pensées dissemblables qu’on accorde, des phrases adoptives qui ont un air de famille, des mots étrangers qui ne ressortent pas avec trop d’éclat, rapportés sans trahir la gêne, pressés sans déborder outre mesure, décousus sans laisser du vide. Si tout ce qui suit te parait conforme à ces règles, tu peux dire que j’ai composé un centon. Et comme j’ai fait cette campagne sous les ordres de mon empereur, tu ordonneras que ma paye me soit comptée comme aux soldats en temps de guerre ; sinon, tu me feras casser aux gages, et, cette pile d’hémistiches retombant dans la caisse, les vers retourneront d’où ils sont venus. Adieu.