tenir que vaguement à tout, Rani n’a pas le sens de sa faiblesse : elle ne tremble pas, elle n’est qu’attentive à ces débâcles d’outre-terre ; elle ne fait corps avec rien et ne se sent pas dériver dans l’ultime désordre universel.
Ses pieds menus à peine effleurent le santal où sur les lotus fragilement bleus Rani repose son ennui… Elle assiste en spectatrice indolente aux longs halètements du sol… elle voit les rafales déchaînées, avec de monstrueux essoufflements de feu, pulvériser des pans de roc, les dresser en nuées trop lourdes pour le Ciel… elle voit s’aplanir les pics, se combler les vallées, et différemment onduler la chaîne douce des montagnes. Elle surprend les forces en conflit, et la tragique hésitation des formes.
Dans un encastrement de roche qui l’abrite, la très petite reine, aux yeux alors foncés de nuit, croit que d’assister elle voit, et se glorifie d’être seule.
Des poussières d’or en fusion s’égarent, fouaillées vers elle par l’agitation de l’air…
… Et ses yeux viennent à souffrir. Subitement, au-delà du possible ils souffrent. — Tout mal finit, pense Rani ; le sien redouble… ah la même obstinée douleur… Elle se raidit, veut encore, pour maîtriser l’affolement qui la menace, garder son immobilité de reine morte. Elle crispe ses pieds étroits le long du cercueil ouvragé… ah, changer de douleur ! crie-t-elle — et la fatigue de souffrir l’exauce en accroissant son mal… mourir, gémit-elle, mourir ! mais elle a dépassé les contrées de la mort, et Rani, qui n’a pas vécu, ne peut mourir.
… Elle tressaute de souffrance, et violemment sortie de ses bandelettes brisées, elle n’est plus qu’un spasme.