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AU SPITZBERG.

main. Il fallait s’ingénier ; je me coiffai d’un vieux voile de dentelle noire, je cachai ma main nue sous un grand châle moins maltraité que le reste de ma garde robe par les nombreux bains de la Laponie, et m’armant de hardiesse, je sortis. Malgré mes efforts pour ne pas paraître trop extraordinaire, on me regardait beaucoup ; je donnai ordre à mon domestique de colorer d’espagnolisme, aux yeux des habitants, la singularité de mon costume : ceci était afin d’expliquer la mantille. Le remède fut pire que le mal : ces bons Suédois connaissaient la France, quelques uns y avaient été, mais aucun ne connaissait l’Espagne. Une Espagnole ! quelle rareté ! Le bruit se répand, et chacun d’accourir. « Oh ! elle est blonde ! Mais elle est bien grande ! » Les livres ne les dépeignent pas ainsi ! Et puis c’étaient des yeux immenses, et des questions à n’en plus finir. J’eus à peine le temps de me réfugier à bord du bateau à vapeur, récemment arrivé, pour n’être pas trop victime de mon mensonge. Le capitaine présidait à un débarquement général ; il nous reçut néanmoins à merveille. Quand mes curieux se furent un peu dissipés, car j’étais suivie, je montai sur le pont, et là j’eus une joie : je vis de grands paniers de pommes, de sincères et véritables pommes, bien rouges et bien jaunes, comme en Normandie : cela sentait et le sud et la France ; les larmes m’en vinrent aux yeux ; il y avait si longtemps que je n’avais rien vu de chez nous ! Ces pommes n’avaient pas mûri à Sundswall, comme bien vous pensez : le bateau à vapeur venait de les apporter, et elles étaient fêtées comme le sont à Paris les oranges. Le capitaine du bateau, voyant