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VOYAGE D’UNE FEMME

cher sur leurs pierres, froisser leurs herbes ou fatiguer leurs portes. À force de recherches, de minuties et d’art mal entendu, ils sont parvenus à faire même de leurs jardins, comblés de fleurs rares, des lieux désagréables et ennuyeux. Autour de pelouses où aucun brin de gazon n’a la latitude de dépasser son voisin, serpentent des allées couvertes de sable tamisé ; sur ce sable, une main patiente a tracé des arabesques, et, comme les pas détruiraient inévitablement ces fragiles dessins, le petit nombre d’habitants qui vivent encore assez pour se promener font placer sur leurs allées des planches portatives, montées sur de petits pieds. Dans les massifs, le tronc des arbres est peint en gris ou en blanc, et les branches sont si régulièrement taillées que, chaque arbre a l’air d’un bouquet artificiel avec sa queue de papier blanc. Pour que rien ne manque à l’ensemble, des personnages de bois, vêtus de vêtements véritables, remplacent les promeneurs dans les bosquets avec moins de dommages pour le jardin, et sur les bassins voguent des cygnes parfaitement imités. Au total, une décoration de l’Ambigu est infiniment plus réelle que le paysage de Brouk, et je ne sache rien de plus froid, de plus triste, de plus mesquin que ce coin du monde où l’homme semble avoir pris à tâche d’appauvrir, de défigurer, de mutiler la nature, sous prétexte d’embellissements.

Au bout de deux heures, j’éprouvais une violente envie de quitter ce pays de maniaques ; j’avais hâte de retrouver un peu de vie, de mouvement, de désordre, le dirai-je ? même de poussière ; tout me semblait préférable à ce que j’avais sous les yeux.