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VOYAGE D’UNE FEMME

tronc de ces magnifiques arbres est lisse, droit et sans branches à une très grande hauteur ; le sol est couvert d’une couche épaisse d’aiguilles sèches, qui forment comme un plancher glissant ; rien de plus triste qu’une telle forêt : ni fleurs, ni mousses, ni herbes, ni insectes, ni oiseaux. Quand j’apercevais un écureuil roux sautant d’une branche à l’autre, c’était une joie ; un renard s’enfuyant au bruit de mes pas, c’était un événement. L’événement n’était pas rare du reste, et j’aimais à rencontrer ces beaux renards fauves, dont la queue est tantôt semblable à une massue et tantôt pareille à un magnifique panache, suivant que le renard la laisse traîner ou l’agite. Souvent nous en apercevions un assis au bord de la route ; il nous regardait passer avec cet air étonné et confiant d’un renard qui n’a point coutume de voir des chasseurs, et si cependant nous faisions le moindre geste inquiétant pour lui, il sautait légèrement dans l’intérieur de la forêt ou traversait la route par un bond prodigieux. Ces renards-là sont en vérité des écureuils à la plus haute puissance ; ils en ont la grâce, l’agilité, la belle queue, tout enfin, même l’odeur. Hélas ! sans ce dernier détail je n’aurais pas résisté au désir d’en rapporter un jeune en France, car ils s’apprivoisent très-bien. Parfois, on rencontre un spectacle étrange, la forêt a été incendiée ; le feu d’un bûcheron ou la pipe d’un berger ont suffi pour dévaster tout un canton. La flamme, trouvant un aliment toujours nouveau dans ces troncs gonflés de résine, s’est répandue comme une mer sur un espace de plusieurs lieues ; les grands arbres réduits en charbon restent encore debout, retenus par leurs