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VOYAGE D’UNE FEMME AU SPITZBERG.

La maison du directeur des forges est située à une demi-lieue dans les terres. Nous dûmes faire ce trajet à la nuit noire, et, quoique bien fatiguée, je ne m’en plaignis pas. Le chemin côtoyait une forêt de sapins admirablement éclairée par la lune, alors dans son plein ; ses rayons perçaient de quelques flèches d’argent la voûte sombre des arbres ; au loin, la fumée rouge des forges montait dans l’air en tourbillons épais, et à l’horizon une aurore boréale promenait ses bandes de lumière pâle sur l’azur sombre du ciel ; ce qu’il y avait d’harmonies mystérieuses dans le contraste de toutes ces lueurs, je ne saurais vous l’exprimer, et le pinceau lui-même serait inhabile à le faire comprendre.

La maison des forges de Kengis est riche et hospitalière ; nous y trouvâmes des recherches de bien-être dont nous avions perdu l’habitude : on nous logea dans une grande chambre boisée de sapin ; la paille hachée des lits était enfermée dans de la toile, et au lieu de peaux de bêtes pour nous couvrir, en nous donna de l’édredon. Je m’apprêtais à jouir de tout ce luxe, lorsque, la lune s’étant couchée, l’aurore se fit si belle que je sortis pour l’admirer. Je la vis d’abord s’agiter avec des mouvements réguliers, comme une mer de lumière ; puis deux grands bras de feu sortirent du foyer principal et enfermèrent tout un côté du ciel. Au bout d’un quart d’heure, ces bras se séparèrent en s’agitant comme les tronçons d’un serpent blessé ; la lumière prit mille formes étranges : celle de rubans inextricablement mêlés, celle d’un peigne immense, celle de panaches touffus, de gerbes amoncelées, enfin, lorsqu’après deux heures de con-