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VOYAGE D’UNE FEMME AU SPITZBERG.

chiens et quelques porcs de luxe amenés de Norwège viennent se joindre le soir à la famille. En entrant ainsi dans les maisons, j’assistai à quelques repas lapons. Ils se composaient de poisson, de chair, de lait de renne, le tout largement arrosé d’huile de poisson ; les convives me parurent manger avec grand plaisir d’un mélange fait de lait de renne caillé mêlé avec des herbes et avec les petites baies du myrtille. Le lait de renne est très-épais et très-nourrissant ; l’été, on le mange ainsi assaisonné ; l’hiver, on le laisse se geler tout naturellement, et on le conserve solidifié dans des vessies. Les Lapons en sont très-friands sous cette forme ; j’ajoute pour votre édification qu’ils sont obligés d’employer la hache pour diviser ces succulents glaçons. Je n’ai pu essayer de cette gourmandise laponne, il ne faisait pas assez froid ; quant au beurre, au lait caillé ou frais, la vue des bergères qui présidaient à ces préparations m’ôta tout désir et même toute possibilité d’en goûter.

Les Lapons de Kautokeino laissent une autre impression que les Lapons d’Hammerfest, et ce sont les mêmes hommes, mais les deux faces du sauvage : à Hammerfest, le sauvage en fête est ivre, hébété, hideux ; à Kautokeino, dans sa vie de famille, il est doux, paresseux, borné. Hors de chez lui il inspire le dégoût ; chez lui il fait naître la pitié.

Le 10 septembre, je pus me remettre en route. Quand je quittai le toit hospitalier du pasteur, le ciel s’était changé en un immense arrosoir, et l’horizon tout entier disparaissait derrière un épais rideau de pluie ; décidément une fatalité inexorable s’attachait