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AU SPITZBERG.

vraiment des gens fort comme il faut, ils gagnèrent ma sympathie en consentant à nous vendre un jeune renne, objet de toutes nos convoitises gastronomiques. Excusez-moi de vous parler encore des intérêts de mon rôti : mais on ne sait pas dans les villes ; ils ignorent, les gens qui dînent tous les jours, ce que peuvent devenir les anxiétés du voyageur affamé, épuisé et inquiet du lendemain !

Pour trois species (environ seize francs), on convint de nous livrer un jeune renne ; les conditions du marché, fort longuement débattues, portaient qu’on nous tuerait notre renne et qu’en retour nous laisserions au propriétaire les entrailles, le sang et la peau. Le troupeau, d’abord effarouché de notre présence, s’était peu à peu rapproché, et les rennes semblaient faciles à prendre comme des chiens familiers ; il n’en était rien pourtant : à peine le Lapon fit-il un pas vers eux, tout le troupeau se dispersa dans différentes directions, non sans attraper de très-bons coups de dents des huit ou dix chiens noirs qui lui servaient de gardiens. Le Lapon m’engagea à choisir mon renne ; j’en désignai un au hasard parmi les plus jeunes, qui, plus apprivoisés, revenaient sans cesse autour de nous. Le maître n’essaya pas de l’approcher ; le laissant, au contraire, prendre beaucoup d’avance sur lui, il saisit une longue corde dont il lança avec force le bout plein de nœuds sur la tête de l’animal ; le renne, retenu par les cornes, tomba sur les genoux ; le Lapon, s’avançant alors très-rapidement, saisit le moment où le renne, rejetant en arrière sa tête embarrassée, découvrait son large poitrail, pour lui plonger dans le cœur un long couteau