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AU SPITZBERG.

de la tente sont rangées les peaux de rennes servant de lit et les coffres de bois qui sont à la fois les tables, les siéges et les armoires du Lapon. Nulle part, je crois, les besoins de la vie ne peuvent être restreints à une plus simple expression ; cette absence de superflu produit du moins l’égalité, et la tente du Lapon le plus riche diffère à peine de celle du plus pauvre. La richesse n’a qu’une forme en ce pays-là : les rennes ; un homme pauvre en a toujours bien une vingtaine ; un homme riche en a quelquefois plus de mille.

Dans la tente où j’entrai, il y avait deux femmes : l’une vieille, ridée, sale, déchirée, hideuse, des yeux rouges éraillés et sans cils, le teint terreux, d’affreuses petites pattes noires et sèches, un monstre de laideur ! L’autre était jeune et assez jolie pour une Laponne ; je la soupçonnai même d’avoir quelque peu de sang norwégien à se reprocher : car elle était blonde avec les yeux bleus, du reste le nez écrasé, les pommettes saillantes ; mais, pour tout embellir, une belle fraîcheur. Ne croyez pas que je me trouvasse bien embarrassée en présence de ces maîtresses d’un logis que je convoitais pour en faire un cabinet de toilette ; je n’avais pas la possibilité de faire des explications, j’agis comme en pays conquis. Après leur avoir fait quelque signe amical, je fermai la porte de la tente (quand je dis fermer la porte d’une tente, il faut toujours comprendre baisser le lambeau d’étoffe qui retombe devant l’ouverture d’entrée) et je m’installai ; je pris ma valise sans beaucoup étonner mes hôtesses, et, heureuse d’avoir un peu de temps à moi, un bon feu et de l’eau chaude,